Le procès de mon ADN

Peau noire: Faut y croire !!!

       Je suis camerounais, où est le problème?


            Je me suis réveillé un matin, dans un lieu que je connaissais déjà, au milieu des gens que je voyais assez souvent. J’y  ai grandi, et, progressivement, au rythme du fouet, des réprimandes, des leçons et des conseils, on m’a dit que j’étais camerounais, que j’étais d’un village du centre-Cameroun, et que j’appartenais à la tribu Banen. Dans les expériences  qui ont meublé ma vie, j’ai appris à aimer ce que je suis, à défendre ce que je possède, et surtout à vanter ce qui chez moi est original. 


         Autour de moi quand je parlais avec mon accent de chez moi, quand j’écrivais sur les pages de mes cahiers scolaires, ou lorsque sur un banc d’école je me retrouvais avec deux à trois autres individus venant d’un autre village ou appartenant à une autre tribu, on ne m’avait jamais parlé de regroupement par tribu. Il est vrai, dans des classes du second cycle au secondaire, on a commencé à me dire ce qu’est l’ADN, le groupe sanguin et même le rhésus, mais à aucun moment, à l’école, au marché, à l’église ou dans la rue, on ne m’a dit que les gens devaient se faire identifier, se regrouper, se déplacer ou échanger uniquement s’ils sont de la même tribu, du même village ou de la même région.  En ces temps-là, mes meilleurs amis n’étaient pas de ma tribu, de mon village ou de ma région d’origine. J’ai eu des gens autour de moi qui plus tard sont devenus plus que des frères. YANKAM Georges, NGUEKAP William, tous ces noms ne sont pas des noms de chez moi. EFOUBA Rosaire, NGAMBA Bertrand, BODO Stéphane,  GUEBONE Françoise, EDZEGUE  EBASSA Christophe, SOULEYMANOU, ne sont pas des gens de ma tribu. Pourtant, avec eux, j’ai passé les plus grands moments de mon existence. J’ai appris au milieu de ces personnes à accepter la diversité, à partager les mêmes difficultés quotidiennes, les mêmes défis, les mêmes valeurs (le courage, la persévérance, la tolérance, la paix, le partage et le vivre-ensemble). 


La notion de vivre-ensemble ne m’est pas étrangère


       La fameuse notion de vivre-ensemble ne m’est donc pas étrangère. En effet, j’en suis convaincu, cela n’est pas une nouveauté pour le plus grand nombre des camerounais. Je me souviens que lorsque je me déplaçais d’un lieu à un autre, dans la petite localité où j’ai grandi, on ne me demandait pas le nom de ma tribu ou de mon village avant de me servir à manger ou pour m’accorder l’hospitalité. Je me souviens également que j’ai eu beaucoup de "mamans" en plus de celle qui m’a mis au monde: des mamans toutes spéciales qui étaient présentes et disponibles quand ma mère était absente ou souffrante. Je me souviens que les plus grandes leçons de générosité, je les ai apprises chez des gens qui ne sont pas de ma tribu.

        Aujourd’hui, quand je me réveille et que j’entends parler des Bamilékés, des Bafout, des Bali, des Bakwéré, des Bakossi, des Bagnangué ou des Bamouns en terme d'exclusion, je me sens blessé et offensé dans mon être. Je me sens insulté dans ce qui fait mon identité. Oui, ce que je suis aujourd’hui est la somme de tout ce que les tribus autres que la mienne m’ont offert. J’ai honte de ces gros cerveaux d’intellectuels qui n’arrivent pas à retenir une fois pour toute que nous sommes des frères et des sœurs qui ont les mêmes origines, les mêmes problèmes, les mêmes besoins existentiels. Chacune de nos ethnies cherche certes à s'affirmer, mais ce n'est guère la théorie ou la stratégie de l'exclusion, du dénigrement ou de l'élimination qui portera le Cameroun au rang des pays puissants. 


         De nos jours, à tous ces cerveaux qui pétillent de philosophies ronflantes, je me permets de leur adresser quelques questions.

 

-Avez-vous déjà subi une transfusion sanguine ?

-Vous a-t-on demandé avant de donner votre sang de quelle tribu vous êtes ?

-Si vous avez subi une ou plusieurs transfusions sanguines, savez vous de quel village ou de quelle ethnie est issu celui dont le sang coule dans vos veines et grâce à qui vous êtes en vie ?

Et à cette question, moi je réponds en disant « Non ! »


Le danger c’est notre bouche qui crache des venins, des paroles de malédiction et de condamnation

            Il n’existe pas de groupe sanguin bamiléké, banen, ewondo ou massa. Il n’existe pas de rhésus éton, mbouda, malimba ou maka. Il n’y a pas d’ADN bafia, bamoun, yambassa ou toupouri. Alors, je n’insulterai aucune personne en raison de sa tribu. Un point, un trait. Et c’est aussi simple que cela. Les éwondo aiment à être en joie et boire du bon vin, les douala aiment bien paraître et visiter des lieux sympa, les bamiléké aiment le sens du sacrifice et du bénéfice, les éton aiment les valeurs et la discrétion, les banen aiment les études et l'indépendance, les bassa aiment la danse et la bonne cuisine… Et où est le problème ?


          Vous avez insulté une tribu, un peuple ou une culture qui sans doute vous a sauvé un jour la vie en vous adoptant, en vous nourrissant,  en vous éduquant, en vous offrant un époux, une épouse, en vous donnant du sang…

Vous avez insulté un peuple qui vous a appris à être vrai, à épargner, à investir, à prévenir,   à être humble et patient…

Vous avez offensé un homme, une femme, un enfant qui demain sera peut-être votre médecin, votre conseiller, votre modèle, votre partenaire, votre guide spirituel, votre époux ou votre épouse, votre confident, votre fille ou votre fidèle fils…

          Il ne se fait pas tard, être humble et reconnaître les valeurs des uns et des autres est un signe de grandeur et de maturité. Chaque fois que je me retrouverai hors de mon pays, autant que nombreux d’entre vous, je n’aurai pas besoin de dire aux étrangers que je suis de telle ou de telle autre tribu. Je leur dirai avec toute la fierté de mon être que je suis « camerounais ». 


           La différence et la diversité de mon point de vue n’ont rien de négatif ou de dangereux. Le danger c’est notre bouche qui crache des venins, des paroles de malédiction et de condamnation. Antoine de Saint Exupéry avait eu beau jeu de le dire : « Si tu diffères
 de moi, loin de me léser, tu m’enrichis ».


Je suis camerounais. Où est donc le problème? 


                                                                    Arnaud BAKELAK  


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